Extraits:


«Cela commença après la saison des pluies. On passa sans transition à une sécheresse de plomb. Les prairies verdoyantes devenaient jaunes à vue d’œil. L’air était immobile comme un éléphant mort. Aussi sec que le désert de Namibie. Tout le monde souffrait. Des jeunes aux vieux on cherchait la plus petite fraîcheur. On s’arrosait, on passait la journée dans les fontaines publiques. On buvait sans presque faire pipi : tout ressortait en suées. Quelques-uns, courageux ou fous, couraient dans les rues. « Pour faire du vent », disaient-ils.»...


(De: Quatre silhouettes)




Depuis ce matin la rivière est cabossée. Gonflée de flots rageurs. On dit qu’un éléphant géant pisse une bière. Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas d’éléphant géant. C’est un gros cumulonimbus qui trotte au loin. Un vieux du village l’a vu un jour. Le cumulonimbus ressemblait à un éléphant. Et il pleuvait ! La rivière en était jaunie. Depuis on dit comme lui : il pisse une bière. Les enfants rient. Ils miment l’éléphant, écartent les jambes et se penchent vers l’avant. Un bras fait la trompe. La bouche imite le bruit de l’eau.


De grandes pluies sont tombées en amont, vers le nord. La mousson commence. La rivière est haute comme une vague. L’eau bouillonne, bat le milieu et mord les berges. Chenjeraï regarde les nuages. Pourvu que la pluie n’arrive pas jusqu’ici ! La pluie est un rideau. Elle tombe si fort que tu ne distingues plus rien à un mètre. Elle te rend aveugle. S’il pleut il ne verra plus la rivière et ne saura pas si c’est vrai.


  1. -Il ne viendra pas, dit une voix derrière lui.


Il reconnaît Windy. Ce n’est pas son nom mais tout le monde l’appelle Windy. Son nom est Jacques. À cause de Compostelle. Sa mère avait fait le pèlerinage quand elle était en Europe. Il y a seize ans. Elle était partie chercher du travail. Elle avait ramené un enfant. Jacques est métis. Son père habite à Longjumeau, une petite ville au sud de Paris. Comment va-t-on à Longjumeau quand on habite au bord de Crocodile River ? Par hasard. Elle avait vingt-deux ans et voulait quitter le bush, trouver du travail et un mari.


Elle n’a pas trouvé de mari. Le père de Jacques est prêtre. Ils ont fait le pèlerinage ensemble. À Compostelle elle était enceinte...


(De: La bière d’éléphant)



«Assis sous le grand baobab ils attendent la conteuse. Petits et grands, jeunes et vieux. Ils bavardent comme des moineaux.


« D’où vient-elle ? De Jobourg. Que raconte-t-elle ? L’histoire du vent. »


« Moi je sais, dit l’un. Je connais bien l’histoire. Je sais à quoi sert le vent. Regardez là-haut. Là, dans l’arbre ! Oui, là : le singe, avec sa gueule toute noire. C’est un vervet. Regardez les touffes de poils autour de ses yeux. Il sert à cela le vent : à faire bouger les poils de ses joues. »


« Le vent n’a pas été inventé pour retrousser les poils des vervets, dit un autre. Ce n’est pas sérieux. Il sert à des choses bien plus importantes. Voici la vérité : le vent fait des vagues. Les vagues, si l’on regarde bien, c’est comme une peau ridée et transparente. Sous cette peau on peut voir le sang de la Terre : l’eau ! En remuant la peau, le vent fait circuler ce sang et toutes les choses vivent : les plantes, les animaux, les oiseaux, et même nous. »


« L’eau, une peau ? Tu divagues avec tes vagues. moi j’entends à quoi sert le vent : à fabriquer des cerfs-volants. Sans lui personne n’aurait eu l’idée. Et moi, je ne suis pas folle, je suis allé à l’école. Je peux vous dire : les cerfs-volants sont à l’origine de l’é-lec-tri-ci-té. C’est un monsieur Benjamin Machin qui a trouvé ça un matin... »


« Tu ne connais même pas son nom. Franklin, pas Machin ! Benjamin Franklin. Bon tu ne sais rien et moi je suis malin. Alors je vais te dire : le vent a été créé pour que le lion ne nous sente pas approcher. Il a souvent le nez en l’air, le lion. Et les yeux droit vers le nez. Il louche. Quand il hume l’odeur d’une proie ses yeux la voient immédiatement, même s’il louche. Donc nous nous arrivons par derrière et le lion ne remarque pas notre odeur. »


« Et tu fais quoi par derrière ? Tu attrapes sa queue en disant : minou minou ? Et si tu éternues ?»... (De: L’histoire du vent)

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